luy dit : Berger, ce qui et sous les sens est plus certain que ce qui est en l’opinion, c’est pourquoy toutes ces raisons que vous alleguez doivent ceder à ce que j’en ressens. Et sur cela-il le commanda à Pan, et prit un autre chemin, et Celadon de mesme contremont la riviere. Et d’autant que la solitude a cela de propre de representer plus vivement la joye ou la tristesse, se trouvant seul, il commença à estre traitté de sorte par le temps, sa fortune et l’amour, qu’il n’y avoit cause de tourment en luy ne luy fust mise devant les yeux. Il estoit exempt de la seule jaulousie ; aussi avec tant d’ennuys, si ce monstre le fust venu attaquer, je ne sçay quelles armes eussent esté asses bonnes pour le sauver. En ces tristes pensers, continuant ses pas, il trouva le pont de la Bouteresse, sur lequel estant passé il rebroussa contre bas la riviere, ne sçachant à quel dessein il prenoit par là son chemin, car en toute sorte il vouloit obeyr au commandement d’Astrée qui luy avoit deffendu de ne se faire voir à elle qu’elle ne le luy commandast. En fin estant parvenu assez pres de Bon-lieu, demeure des chastes Vestales, il fut comme surpris de honte d’avoir tant approché sans y penser celle que sa resolution luy commandoit d’esloigner. Et voulant s’en retourner, il s’enfonça dans un bois si espais et marescagneux en quelques endroits, qu’a peine en peut-il sortir ; cela le contraignit de s’approcher d’avantage de la riviere, car le gravier menu luy estoit moins ennuyeux que la boue.
De fortune, estant desja assez las du long chemin, il alloit cherchant un lieu où il se peust reposer, attendant que la nuict luy permist de se retirer sans estre recontré de personne, faisant dessein d’aller si loing que jamais on n’entendist de ses nouvelles. Il jetta l’oeil sur une caverne qui du costé de l’entrée estoit lavée de la riviere, et de l’autre estoit à demy couverte d’arbres et de buissons, qui par leur espaisseur en ostoient la veue à ceux qui passoient