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O berger, combien estes-vous abusé en vostre opinion ! Je vous advoue bien que les plus grands maux sont ceux d’amour : de cela j’en suis trop fidelle tesmoin ; mais de dire que ceux qui sont sans espoir soient les plus douloureux, tant s’en faut que mesme ne meritent ils point d’estre ressentis, car c’est acte de folie de pleurer une chose à quoy l’on ne peut remedier. – Et amour, qu’est-ce respondit-il, sinon une pure folie ? – Je ne veux pas, repliqua Celadon, entrer maintenant en ce discours, d’autant que je veux parachever le premier et cestuy-cy seul meriteroit trop de temps. Mais dites moy, plaignez-vous cette mort pour amour ou non ? – C’est, respondit-il, pour amour. – Or, qu’est-ce qu’amour, dit Celadon, sinon, comme j’ay ouy dire à Silvandre et aux plus sçavants de nos bergers, qu’on desir de la beauté que nous trouvons telle ? – Il est vray, dit l’estranger. – Mais, repliqua Celadon, est-ce chose d’homme raisonnable de desirer une chose qui ne se peut avoir ? Non certes, dit-il. – Or voyez donc, dit Celadon. Comme la mort de Cleon doit le remede de vos maux, car puis que vous m’advouez que le desir ne doit estre où l’esperance ne peut atteindre, et que l’amour n’estre chose que desir, la mort qui, à ce que vous dites, vous oste toute esperance, vous doit par consequent oster tout le desir, et le desir mourant, il traine l’amour dans un mesme cercueil, et n’ayant plus d’amour, puis que le mal que vous plaignez en vient, je ne sçay comment vous le puissiez ressentir. Le berger desolé luy respondit : Soit amour, ou haine, tant y a qu’il est plus veritable que je ne sçaurois dire, que mon mal est sur tous extreme. Et parce que Celadon luy vouloit repliquer, luy qui ne pouvoit souffrir d’estre contredit en ceste opinion, luy sem- blant que d’endurer les raisons contraires, c’estoit offenser les cendres de Cleon