ne cognoy point et qui estoit frere Lycidas, tant aymé et estimé de tous ceux de ce rivage, que sa perte a esté ressentie generalement de tous, mais beaucoup plus ces trois personnes que vous avez nommées. Car on tient, c’est à dire ceux qui sçavent un peu des secrets de ce monde, que ce berger estoit serviteur d’Astrée, et que ce qui les a empescher de se marier, a esté l’inimitié de leurs parents. – Et comment dit-on, repliqua Celadon, que ce berger se perdit ? – On le raconte dit-il, de plusieurs sortes : les uns en parlent selon opinion, les autres selon les apparences, et d’ autres selon le rapport de quelques uns, et ainsi la chose est contée fort diversement. Quant à moy, j’arrivay sur ces rives les mesme jour qu’il se perdit et me souviens que je veis chacun si espouvanté de cet accident, qu’il n’y avoit personne qui sceust m’en donner bon conte. En fin, et c’est l’opinion plus commune, par ce que Phillis et Astrée, et Lycidas mesme la racontent ainsi, s’estant endormy sur le bord de la riviere en songeant, il faut qu’il soit tombé dedans et de fait la belle Astrée en fit de mesme, mais ses robbes la sauverent.
Celadon alors jugea que prudemment ils avoient tous trois trouvé ceste invention, pour ne donner occasion à plusieurs de parler mal à propos sur ce sujet, et en fut tres-aise, car il avoit tousjours beaucoup craint que l’on soupçonnast quelque chose au desavantage d’Astrée. Et pource continuant ses demandes : Mais, dit-il, que pensent-ils qu’il soit devenu ? – Qu’il soit mort, respondit berger desolé, et vous asseure bien qu’Astrée en porte, quoi qu’elle faigne, un si grand desplaisir qu’il n’est pas croyable combien chacun dit qu’elle est changée. Si est ce que si Diane ne l’en empesche, elle est la plus belle de toutes celles que je