Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/620

Cette page n’a pas encore été corrigée

en liberté et pouvez disposer de vos actions tout ainsi qu’il vous plaira. Le prince des Francs m’a permis des disposer de vous, et le devoir de chevalier m’oblige non seulement à vous mettre en liberté, mais à vous offrir encore toute l’assistance que vous jugerez que je vous puisse rendre. Melandre oyant une parole tant inesperée, tressaillit toute de joye, et se jettant à ses pieds comme transportée, luy baisa la main pour remerciement d’une grace si grande, car le bien qu’elle s’estoit figurée de recevoir de luy, estoit d’estre mise à rançon et l’incommodité du payement la desesperoit de le pouvoir faire si toste que le terme de quinze jours ne fust escoulé. Mais quand elle quyt un si grand courtoisie: Vrayement, luy dit-elle, seigneur chevalier, vous faites paroistre que vous sçcavez que c’est que d’aimer, puis que vous avez pitié de ceux qui en sont atteints. Je prie Dieu, attendant que je puisse m’en revencher, qu’il vous rende aussi heureux qu’il vous a faut courtois, et digne de toute bonne fortune. Et à l’heure mesme elle s’en voulut aller, ce que Clidaman ne voulut permettre parce que c’estoit de nuict. Le lendemain donc à bonne heure elle se mit en chemin, et ne tarda qu’elle ne vinst à Calais, où de fortune elle arrivale jour avant le terme. Des le soir elle eust fait sçcavoir sa venue à Lypandas n’eust ersté qu’elle fur d’advis, veu la perfidie de celuy avec qui elle avoit affaire, d’attendre le jour, afin que plus der personnes visent le tort qu’il luy feroit, si de fortune il manquoit encore une fois de parole.

Le jour don estant venu, et l’heure du midy estant sonée queles principaux du lieu pour honorer le gouverneur estoient lors en sa maison, voilà le Chevalier Triste qui se presente à luy.

A l’abord il ne fut point recogneu, car on ne l’avoit veu qu’au combat, où la peur luy avoit