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morceau qu’il taschoit d’avaler. Ses bras et jambes nerveuses et crasseuses, estoient en divers endroits couvertes de poil aussi bien que ses cuisses maigres, et descharnées. Dessous ses pieds s’eslevoient de gros morceaux d’ossements, dont les uns blanchissoient de vieillesse, les autres ne commençoient que d’estre descharnez, et d’autres joincts avec un peu de peau et de chair demy gastée, monstroient n’estre que depuis peu mis en ce lieu.

Autour de luy on ne voyoit que des sceptres en pieces, des couronnes rompues, de grands edifices ruinez, et cela de telle sorte, qu’ à peine restiot-il quelque legere ressemblance de ce que ç’avoit esté. Un peu plus loing on voyoit les Coribantes avec leurs cemblables et haut-bois, cacher le petit Jupiter dans une caverne, des dents devoreuses de ce pere. Puis assez pres de là on le voyoit grand, avec un visage enflambé, mais grave, et plein de majesté, les yeux benins, mais redoutables, la couronne sur la teste, en la main gauche le sceptre qu’il appuyoit sur la cuisse, où l’on voyoit encore la cicatrice de la playe qu’il s’estoit faite, quand pour l’imprudence de la nymphe semele, pour sauver le petit Bacchus, il fut contraint de s’ouvrir cest endroit, et de l’y porter jusqu’ à la fin du terme. De l’autre main il avoit le foudre à trois poinctes, qui estoit si bien representé, qu’il sembloit mesme voler des-ja par l’air.

Il avoit les pieds sur un grand monde et pres de luy on voyoit un grand aigle, qui portoit en son bec crochu un foudre, et l’approchoit levant la teste contre luy au plus pres de son genouil. Sur le dos de cét oyseau estoit le petit Ganimede, vestu à la façon des habitants du mont Ida, grasset, potelet, blanc, les cheveux dorez et frisez, qui d'une main caressoit la teste de cet oyseau, et