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fus point estonée, que quand le pauvre Lydias fut conduit sur un eschaffaut pour assister au combat, car la pitié que j’eus de le voir en tel estat, me toucha de sorte que je demeuray fort long temps sans me pouvoir remuer. En fin les juges me menerent vers luy, pour sçavoir s’il m’acceptoit pour son champion : il me demanda qui j’estois. Lors contrefaisant ma parole:

Contentez-vous, Lydias luy dis-je, que je suis le seul qui veut entreprendre ce combat pour vous.

– Puis que cela est, repliquat’il vous devez estre personne de valeur. Et c’est pourquoy, dit-il se tournant vers les juges, je l’accepte. Et ainsi que je m’en allois, il me dit: Chevalier vaillant, n’ayez peur que vostre querelle ne soit juste. – Lydias, luy respondis-je, fussée-je aussi asseuré que tu n’eusses point d’autre injustice!

Et apres je me retiray si resolue à la mort, que desjà il me tardoit que les trompettes le signal du combat. De fait au premier son, je partis, mais le cheval m’esbranla der sorte qu’au lieu de porter ma lance comme il falloit ; je la laissay allercomme la fortune voulut. Sie bien qu’au lieu de le frapper, je donnay dans le col du cheval, luy laissant la lance dans le corps, dont le cheval courut au commencement pa le champ en despit de son maistre, et en fin toma mort.

Lypandas estoit venu contre moy avec tant de desir de bien faire que la trop grande volonté luy fit faillir son coup. Quant à moy, mon cheval alla jusques òu il voulut, car ce que je peus faire fut de me tenir sans tomber, et s’estant arresté de soy-mesme, et oyant Lypandas qui me crioit de tourner à luy, avec outrages de ce que je luy avois tué son cheval, je revins apres avoir mis la main à l’espée au mieux qu’il me fut possible, et non pas sans peine. Mais mon cheval que peut-estre picqueé plus que son courage ne vouloit, aussi tost que je l’eus tourné, prit de luy-mesme sa course, et si