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m’oblige à croire que quelque cognoissance que vous puissiez avoir de moy, ne vous fera changer ceste bonne volonté, à fin que vous jugiez le sujet que j’ay de me plaindre, voire de me desesperer voyant le mal si prochain et le remede tant esloigné, pourveu que vous me promettier de ne me dècouvrir, je vous diray des chosesqui sans doute vous ferront estonner. Et lots le luy ayant promis, il commença de ceste sorte:

Seigneur chevalier, cet accoustrement que vous me voyez n’est pas le mien propre, mais Amour qui autresfois a vestu des hommes en femmes, se joue de moy de ceste et m’ayant fait oublier en partie ce que j’estois, m’a revestu d’un habit contraire au mien, car je ne suis pas homme, mais fille d’une des bonnes maisons de Bretaigne, et me nomme Melandre, venuje entre vos mains par la plus grande fortune qui ait jamais esté conduitte par l’amour.

Il y a quelque temps qu’un jeune homme nommé Lydias vint à Londres fuitif des son pays, à ce que j’ay sceu depuis, pour avoir tué son ennemy en champ clos. Tous deux estoient de cette partie de la Gaule qu’on appelle Neustrie, mais parce que le mort estoit apparanté des plus grand d’entre eux, il fut contraint de sortir du pays, pour éviter les rigueurs de la justice. Ainsi donc parvenu à Londres, comme c’est la coustume de nostre nation, il y trouva tant de courtoisie qu’il n’y avoit bonne maisons, òu il ne fust incontinent familier ; entre autres il vivoit aussi privément chez mon pere que s’il eust esté chez luy. Et parce qu’il faisoit dessein de deneurer là aussi longuement que le retour en sa patrie luy seroit interdit, il delibera de faire semblant d’aimer quelque chose, afin de se conformer mieux à l’humeur de ceux de la grande Bretaigne qui ont tous quelque particuliere dame. En ceste resolution il tourna, je ne sçay si je