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d’ennuy, un jour il le fit appeller, et apres l’avoir enquis de son estre, et de sa qualité, il luy demanda l’occasion de sa tristesse, disant que si elle procedoit de la prison, il devoit, comme homme de courage, supporter semblables accidents, eu que tant s’en faut il devoit remercier le Ciel qu’il l’eust fait tober entre leurs mains, puis qu’il estoit en lieu où ne recevroit que toute courtoisie, et que l’esloignement de sa liberté ne procedoit que du commandement de Meroué, qui avoit deffendu que l’on ne msit point de prisonniers á rançon et que quand il le leur permettroit, il verroit quelle estoit leur courtoisie.

Ce jeune homme le remercia, mais toutesfois ne peut s’empescher de souspirer, dont Clidaman plus esmeur encores, luy en demanda la cause, à quoy il repondit: Seigneur chevalier, ceste tristesse que vous voyez peinte en mon visage et ces soupirs qu se desrobent si souvent de mon estomac, ne procedent pas de ceste prison dont vous me parlez, mais d’une autre qui me lie bien plus estroittement. Car le temps ou la rançon peuvent desobliger de celle-cy, mais de l’autre, il n’a a rien que le mort qui m’en puisse retirer. Et toutesfois d’autant que je sius resolu, encores la supporterois-je avec patience, si je n’en prevoyois la fin trop prompte, non pas pa ma mort seul, mais par la perte de la personne qui me tient pris si estroittement.

Clidaman jugea bien à ses paroles que c’estoit Amour qui le travailloit, et par la preuve qu’il en faisoit en luy mesme, considerant le mal de son prisonnier, il en eut tant de pitié, qu’il l’asseura de procurer sa liberté le plus promptement, qu’il luy seroit possible, sçachant assez par experience quelles sont les passions et les inquiètudes qui accompagnent une personne qui aime bien. Puis, luy dit-il que vous sçavez que c’est qu’amouir, et que vostre courtoisie