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prenant sa mort pour la perte de son amitié, elle en venoit sçavoir la verité. Voyez comme ce visage triste pas sa douceur esmeut a pitié et fait participer à son desplaisir, parce qu’elle n’eut sitost jetté la veue dans l’*eau, qu’elle apperceut Damon, mais hélas! pres de luy la bergere Melide, bergere belle à la verité, et qui n’avoit point esté sans soupçon d’aimer Damon, toutesfois sans estre aimée de luy. Trompée de ceste menterie, voyez comme elle s’est retirée au profond de c este caverne et vient, sans y penser, pour plaindre son desplaisir, au mesme lieu où Damon pour mesme sujet estoit presque mort. La voicy assise contre ce rocher, les bras croisez sur l’estomac pantele, le visage et les yeux tournez en haut demandent vengeance au Ciel de la perfidie qu’elle croist estre en Damon.

Et parce que le transport de son mal luy fit relever la voix en se plaignant, Damon que vous voyez pres de là, encor qu’il fust sur la fin de sa vie, entreoyant les regrets de sa bergere, et en recognoissant la voix, s’efforça de l’appeler. Elle qui ouyt ceste parole mourante, tournant en sursaut la teste, s’en va vers luy. Mais, ô dieux! quelle luy fut ceste veue! Elle oublie, le voyant en cet estat, l’occasion qu’elle avoit de se plaindre de luy, et luy demande qu’il l’avoit si mal traitté. C’est, luy dit-il, le changement de ma fortune, c’est l’inconstance de vostre ame qui m’a deceu avec tant de demonstration de bonne volonté. Bref, c’est le bon-heur de Maradon, que la fontaine d’où vous venez m’a monstré aupres de vous. Et vous semble-t’il raisonnable que celuy vive ayant perdu vostre amitié, qui ne vivoit que pour estre aimé de vous? Fortune oyant ces paroles: Ah! Damon, dit-elle, combien à nostre dommage est menteuse ceste source, puis qu’elle m’a fait voir