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pour ce coup la vertu de la fontaine de la Verité d’amour.

Avant que passer plus outre, considerez un peu l’artifice de ceste peinture. Voyez les effets de la chandelle de Mandrague, entre les obscuritez de la nuict. Elle a tout le costé gauche du visage fort clair, et le reste tellement obscur qu’il semble d’un visage different; la bouche entr’ouverte paroist par le dedans claire autant que l’ouverture peut permettre à la clarté d’y entrer, et le bras qui tient la chandelle, vous voyez aupres de la main, fort obscur, à cause que le livre qu’elle tient y fait ombre, et le reste est si clair par dessus qu’il fait plus paroistre la noirceur du dessous. Et de mesme avec combien de consideration ont estez observez les effets que ceste chandelle fait en ces demons, car les uns et les autres, selon qu’ils sont tournez, sont esclairés ou obscurcis.

Or voicy un autre grand artifice de la peinture, qui est cest esloignement, car la perspective y est si bien observée, que vous diriez que cest autre accident qu’il veut representer deça, est hors de ce tableau est bien esloigné d’icy. Et c’est Mandrague encores qui est à la fontaine de la Verité d’amour.

Mais pour vous faire mieux entendre le tout, sçachez que quelque temps auparavant une belle bergere, fille d’un magicien tres sçavant, s’esprit secrettement d’un berger, que son pere n’apperceut point, soit que les charmes de la magie ne puissent rien sur les charmes d’amour, ou soit qu’attentif à ses estudes, il ne jetast point l’oeil sur elle. Tant y a qu’apres une tres-ardante amitié, d’autant qu’en amour il n’y a rien de plus insupportable que le desdain, et que ce berger l’a mesprisoit pour s’estre dés long-temps voué ailleurs, elle fut reduitte à tel terme que peu à peu son feu croissant et ses forces diminuant, elle vint à mourir, sans que le sçavoir de son pere la peust secourir. Dequoi le magicien estant