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bras et le col de la belle bergere Fortune, et puis le remet aux mains du berger: c’est pour nous faire entendre que les merites, l’amour, et le services de ce beau berger, qui sont figurez par ces fleurs, obligerent Fortune à une amour reciproque envers luy. Qui si vous trouvez estrange qu’Anteros soit ici representé plus grand que Cupidon, sçachez que c’est pour vous faire entendre que l’amour qui naist de l’Amour, est tousjours plus grande que celle dont elle procede.

Mais passons au troisiesme.

Troisiesme tableau

Lors Adamas continua: Voicy vostre belle riviere de Lignon. Voyez comme elle prend une double source, l’une venant des montagnes de Cervieres, et l’autre de Chalmasel qui viennent se joindre un peu par dessus la marchande ville de Boing.

Que tout ce paysage est bien faict, et les bords tortueux de ceste riviere avec ces petits aulnes qui la bornent ordinairement! Ne cognoissez-vous point icy le bois qui confine ce grand pré, où le plus souvent les bergers paresseux paissent leurs troupeaux? Il me semble que ceste grosse touffle d’arbres à main gauche, ce petit biais qui serpente sur le costé droit bien remettre devant les yeux. Que s’il n’est à ceste heure du tout semblable, ce n’est que le tableau soit faux, mais c’est que quelques arbres depuis ce temps-là sont morts, et d’autres creus, que la riviere en deux lieux s’est advancée, et reculée en d’autres, et toutefois il n’y a guiere de changement.

Or regardez un peu plus bas le long de Lignon. Voicy une trouppe de brebis qui est à l’ombre, voyez comme les unes ruminent laschement, et les autres tiennent le nez en terre pour en tirer la fraischeur: c’est le troupeau de Damon,