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vos paroles sinon en rougissant, et toutes fois amour qui vous faict parler, me contraint de vous respondre. Ce que vous nommez en moy ingratitude, mon affection le nomme devoir, et quand il vous plaira d’en sçavoir la raison, je la vous diray. – Et quelle raison, interrompit Galathée, pouvez-vous dire, sinon que vous aimez ailleurs et que vostre foy vous oblige à cela? Mais la loy de la nature recede toute autre: ceste loy nous commande de rechercher nostre bien, et pouvez-vous en desirer un plus grand que celuy de mon amitié? Quelle autre y a t’il en ceste contrée qui soit ce que je suis, et qui puisse faire pour vous ce que je puis? Ce sont mocqueries, Celadon, que de s’arrester à ces sottises de fidelité et de constance, paroles que les vieilles et celles qui deviennent laides ont inventées pour retenir par ce liens les ames que leurs visages mettoient en liberté. On dit que toutes les vertus sont enchaisnées; la constance ne peut donc estre sans la prudence, mais seroit-ce prudence, desdaigner le bien certain, pour fuir le tiltre d’inconstant? – Madame, respondit Celadon, la prudence ne nous apprendra jamais de faire nostre profit par un moyen honteux, ny la nature par ses loix ne nous commandera jamais de bastir avant que d’avoir asseuré le fondement. Mais y a-t’il quelque chose plus honteuse que n’observer pas ce qui est promis? y a-t’il rien de plus leger qu’un esprit qui va comme l’abeille, volant d’une fleur à l’autre, attirée d’une nouvelle douceur? Madame, si la fidelité se perd, quel fondement puis-je faire en vostre amitié? puis que si vous suivez la loy que vous dites, combien demeuray-je en ce bon-heur? autant que vous demeurerez en lieu où il n’y aura point d’autre homme que moy.

La nymphe et le berger discouroient ainsi, cependant que Leonide se retira en sa chambre pour faire la despeche