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en moy quelque estincelle de bonne volonté pour luy. – Comment, Madame, luy dit Leonide, voudriez vous bien aymer un berger ? Ne vous ressouvenez vous pas qui vous estes ? – Si fait, Leonide, je m’en ressouviens, dit-elle, mais il faut aussi que vous sçachiez que les bergers sont hommes aussi bien que les druydes, et les chevaliers, et que leur noblesse est aussi grande que celle des autres, estans tous venus d’ancienneté de mesme tige, que l’exercice auquel on s’adonne ne peut pas nous rendre autres que nous ne sommes de nostre naissance ; de sorte que si ce berger est bien né, pourquoy ne le croiray-je aussy digne de moy que tout autre ? – Enfin, Madame, dit-elle, c’est un berger, comme que vous le vueillez desguiser. – En fin, dit Galathée, c’est un honneste homme, comme que vous le puissez qualifier. – Mais Madame, respondit Leonide, vous estes si grande nymphe, Dame apres Amasis de toutes ces belles contrées, aurez-vous le courage si a battu que d’aimer un homme nay du milieu du peuple ? un rustique ? un berger ? un homme de rien ? – M’amie repliqua Galathée, laissons ces injures, et vous ressouvenez qu’Enone se fit bien bergere pour Paris, et que l’ayant perdu, elle le regretta et peura à chaudes larmes. – Madame, (dit Leonide) celuy- là estoit fils de roy, et puis l’erreur d’autruy ne doit vous faire tomber en une semblable faute. – Si c’est faute, respondit-elle, je m’en remets aux dieux, qui me la conseillent par l’oracle de leur druyde ; mais que Celadon ne soit nay d’aussi bon sang que Paris, m’amie, vous n’avez point d’esprit si vous le dites, car ne sont-ils pas veus tous deux d’une mesme origine ? et puis n’avez-vous ouy ce que Silvie a dit de luy et de son pere ? Il faut que vous sçachiez qu’ils ne sont pas bergers, pour n’avoir de quoy vivre autrement, mais pour