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heur et quelle sa gloire? non seulement de l’avoir asseurée de son amour, mais d’estre luy-mesme tout certain qu’elle l’aime? O non, madame, croyez-moy, Ligdamon n’est point à plaindre, mais si est bien Silvie, car (et vous le verrez avec le temps) tout ce qu’elle se representera sera d’ordinaire les actions de Ligdamon, les discours de Ligdamon, sa façon, son amitié, sa valeur. Bref, cet idole luy ira volant d’ordinaire à l’entour, presque comme vengeur des cruautéz dont elle a tourmenté ce pauvre amant, et les repentirs qui l’iront talonnant en ses pensées seront les executeurs de la justice d’amour.

Ces propos se tenoient si haut et si pres de Silvie qu’elle les oyoit tous, et cela la faisoit crever, car elle les jugeoit veritables. En fin apres les avoir soustenus quelque temps, et se recognoissant trop foible pour resister à de su forts ennemis, elle sortit de ceste chambre et s’alla retirer en la sienne où alors il n’y eut plus de retenue à ses larmes. Car ayant ferméla porte apres elle et prié Leonide qu’elle la laissast seule, elle se rejette sur le lict où, les bras croisez sur l’estomach, et les yeux contre le ciel, elle alloit repassant par sa memoire toute leur vie passée, quelle affection. il luy avoit tousjours fait paroistre, comme il avoit patienté ses rigueurs, avec quelle direction il l’avoit servie, combien de temps ceste affection avoit duré, et en fin, disoit-elle, tout cela s’enclost à ceste heure dans peu de terre. Et en ce regret, se ressouvenant de ses propres discours, de ses adieux, de ses impatiences, et de mille petites particularitez, elle fut contrainte de dire: Tay-toi, memoire, laisse reposer les cendres de mon Ligdamon; que si tu me tourmentes, je sçay qu’il te desadvouera pour sienne, et si tu ne l’es pas, je ne te veux point. En fin apres avoir demeuré quelque temps muette, elle dit: Or bien