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deux deputez de la ville, pour prendre le nom et la qualité des prisonniers, d’autant qu’il y en avoit plusieurs des leurs pris, et ils vouloient les changer. La pauvre dame fut fort surprise, croyant qu’ils le vinssent saisir pour le conduire en prison, et oyant qu’ils luy demandoient son nom, elle faillit à le dire elle-mesme, mais mon maistre la devança et se nomma Ligdamon Segusien. Elle eut alors opinion qu’il se voulust dissimuler, et pour oster tout soupçon, elle se retira chez elle, en resolution de le racheter si promptemnet qu’il ne peust estre recogneu. Et il estoit vray que mon maistre ressembloit de telle sorte à Lydias, que tous ceux qui le voyoient le prenoient pour luy. Et ce Lydias estoit un jeune homme de ce pais-là, qui estant amoureux d’une tres belle dame, s’estoit battu avec Aronthe son rival, de qui la jalousie avoit esté telle, qu’il s’estoit laissé aller au delà de son devoir, mesdisant d’elle et de luy ; de quoi Lydias offensé, apres luy en avoir fait parler deux ou trois fois, à fin qu’il changeast de discours, et croyant qu’il prenoit pour crainte ce qui procedoit de la prudence de ce jeune homme, il fut en fin forcé et de son devoir et de son amour, d’en venir aux armes, et avec tant d’heur qu’ayant laissé son ennemy comme mort en terre, il eut loisir de se sauver des mains de la justice, qui depuis que Aronthe fut mort, le poursuivit de sorte, qu’il fut, encores qu’absent, condamné à la mort.

Ligdamon estoit tellement blessé qu’il ne songeoit point à toutes ces choses. Moy qui prevoyois le mal qui luy en pourroit advenir, je pressois tousjours la mere de le racheter : ce qu’elle fit, mais non point si secrettement que les ennemis de Lydias n’en fussent advertis ; si bien qu’à leur requeste, le mesme jour que cette bonne dame ayant payé sa rançon, le faisoit porter chez elle, ceux de la justice y arriverent, qui luy firent faire