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vous luy avez tenus. Ne pensez non plus que je ne croye que vous perdant, je ne perde aussi la meilleure fortune que je sçaurois jamais avoir, mais le seul sujet qui me pousse à vous redonner à celuy à qui vous devez estre, c’est, ô sage Bellinde, que je ne veux pas acheter mon contentement avec vostre eternel desplaisir et que veritablement je croirois estre coulpable, et envers Dieu, et envers les hommes, si à mon occasion une si belle et vertueuse amitié se rompoit entre vous.

Je viens donc icy pour vous dire que je veux bien me priver de la meilleure alliance que je sçaurois jamais avoir, pour vous remettre en vostre liberté et vous redonner le contentement que le mien vous osteroit. Et outre que je penseray avoir fait ce que je croy que le devoir me commande, encores ne me sera-ce peu de satisfaction de penser que si Bellinde est contente, Ergaste est un des instruments de son contentement. Seulement je vous requiers, si en cecy je vous oblige, qu’estant cause de la reunion de vostre amitié, vous me receviez pour tiers entre vous deux et que vous me fassiez la mesme part de vostre bonne volonté que vous avez promise à Celion quand vous avez creu d’espouser Ergaste, je veux dire, que de tous deux je sois aimé et receu comme frere.

Pourrois-je, belle nymphe, vous redire le contentement inesperé de ceste bergere ? Je croy qu’il seroit impossible, car elle mesme fut tellement surprise, qu’elle ne sceut.de quelles paroles le remercier. Mais le prenant par la main, s’alla rasseoir sur les gazons de la fontaine, où apres s’estre un peu remise, et voyant la bonne volonté dont Ergaste l’obligeoit, elle luy declara tout au long ce qui s’estoit passé entre Celion et elle. Et apres mille sortes de remerciemens, que j’obmets pour ne vous ennuyer, elle le supplia de l’aller chercher luy-mesme, d’autant que le transport de Celion estoit tel qu’il ne reviendroit pour personne