pour l’opinion que chacun aura de nostre vie passée à mon desadvantage, me puisse laisser un moment de repos ? Cela seroit peut-estre croyable d’une autre que de moy, qui ay tousjours tant desapprouvé celles qui se sont conduites de ceste sorte, que la honte de me voir tomber en leur mesme faute me seroit tousjours plus insupportable que la plus cruelle fin que le Ciel me pourroit ordonner.
Armez-vous donc de ceste resolution, ô berger ! que tout ainsi que par le passé nostre affection ne nous a jamais fait commettre chose qui fust contre nostre devoir, quoy que nostre amour ait esté extreme, de mesme pour l’advenir il ne faut point souffrir qu’elle nous y puisse forcer. Outre que des choses où il n’y a point de remede, la plainte semble être bien inutile. Or il est tout certain que mon pere m’a donnée à Ergaste et que ceste donation ne peut desormais estre revoquée que par Ergaste mesme. Jugez quelle esperance nous devons avoir qu’elle le soit jamais ? Il est vray qu’ayant disposé de mon affection avant que mon pere de moy, je vous promets et vous jure devant tous les dieux et particulierement devant les deitez qui habitent en ce lieu que d’affection je seray vostre jusques dans le tombeau et qu’il n’y a ny pere, ny mary, ny tyrannie, ny devoir qui me fasse jamais contrevenir au serment que je vous en fais. Le Ciel m’a donnée à un pere, ce pere a donné mon corps à un mary : comme je n’ay peu contredire au Ciel, de mesme mon devoir me deffend de refuser l’ordonnance de mon pere, mais ny le Ciel, ny mon pere, ny mon mary, ne m’empescheront jamais d’avoir un frere que j’aimeray comme je luy ay promis, quelle que je puisse devenir.
A ces dernieres paroles, prevoyant bien que Celion se remettroit aux plaintes et aux larmes, afin de les eviter, elle se leva, et