affection de l’avoir agreable ? Je sçay qu’Ergaste merite mieux, et que je ne puis esperer rien de plus advantageux que d’estre sienne. Mais, comment me pourray-je donner à luy si amour m’a desja donnée à un autre ? La raison est du costé de mon pere, mais amour est pour moy, et non point un amour nouvellement nay ou qui n’a point de puissance, mais un amour que j’ay conceu, ou plustost que le Ciel a fait naistre avec moy, qui s’est eslevé dans mon berceau, et qui par un si long trait de temps s’est tellement insinué dans mon ame, qu’il est plus mon ame, que mon ame mesme. O dieux ! et faut-il esperer que je m’en puisse, despouiller sans la vie ? et si je ne m’en deffais, dy moy, Bellinde, que sera-ce de toy ?
En proferant ces paroles, les grosses larmes luy tomboient des yeux, et coulant le long de son visage, mouilloient et les mains et la joue du berger, qui peu à peu revenant, fut cause que la bergere interrompit ses plaintes, et s’essuyant les yeux, de peur qu’il ne s’en prist garde, changeant ett de visage et de voix, luy parla de ceste sorte : Berger, je vous veux advouer que j’ay du ressentiment de vostre peine, autant peut-estre que vous-mesme, et que je ne sçaurois douter de vostre bonne volonté, si je n’estois la plus mescognoissante personne du monde. Mais à quoy ceste recognoissance, et à quoy ce ressentiment ? Puis que le Ciel m’a sousmise à celuy qui m’a donné l’estre, voulez-vous, tant que cet estre me demeurera, que je luy puisse desobeir ? Mais soit ainsi que l’affection plus forte l’emporte sur le devoir, pour cela, Celion, serions-nous en repos ? Est-il possible, si vous m’aimez, que vous puissiez avoir du contentement, me voyant le reste de ma vie pleine de desplaisirs et de regrets ? Et pouvez-vous croire que le blasme que j’encourray, soit par la desobeissance de mon pere, soit