Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/537

Cette page n’a pas encore été corrigée

pour pouvoir respondre, elle luy dit : Celion, vous croyez me rendre preuve de vostre amitié, et vous faites le contraire, car comment m’avez-vous aymée, ayant si ma-avaise opinion de moy ? Si depuis ce dernier accident vous l’avez conceue, croyez que l’affection n’estoit pas grande qui a peu permettre que si promptement vousl’ayez changée. Que si vous n’avez point mauvaise opinion de moy, comme est-il possible que vous puissiez croire que je vous aye aimé, et qu’à cette heure je ne voys aime plus ? Pour Dieu ayez pitié de ma fortune, et ne conjurez plus avec elle pour augmenter mes ennuis. Considerez qu’il y a fort peu d’apparence que Celion, que j’ayme plus que le reste du monde et de qui l’humeur. m’agrée autant que la mienne mesme, eust esté changé pour un Ergaste qui m’est incogneu, et au lieu duquel j’eslirois plustost d’espouser le tombeau. Que si j’y suis forcée, ce sont les commandements de mon pere ausquels mon honneur ne permet que je contrarie. Mais est-il possible que vous ne vous ressouveniez des protestations que si sou- vent je vous ay faictes de ne vouloir me marier ? et toutesfois vous ne laissiez de m’aimer. Depuis, qu’y a-t-il de changé ? car si sans m’espouser vous m’avez bien aimge, pourquoy ne m’aimerez-vous pas sans m’espouser? Ayant un mary, qui me deffendra d’avoir un frere que j’aimeray tousjours avec l’amitié que je dois ? La volonté m’arreste pres de vous plus qu’il ne m’est permis. Adieu, mon Celion, vivez et aimez moy, qui vous aimeray jusques à ma fin, quoy qu’il puisse advenir de Bellinde.

A ce mot elle le baisa, qui fut la plus grande faveur qu’elle luy eust fait encores, le laissant tellement hors de luy-mesme, qu’il ne sceust former une parole pour luy respondre. Quand il fut revenu, et qu’il considera qu’amour flechissoit sous le devoir, et