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amy ? avec quel cœur l’aimerez-vous ? et avec quelles faveurs le caresserez-vous ? puis que vostre œil m’a mille fois promis de n’en voir d’amour jamais d’autre que moy, puis que ce cœur m’a juré de ne pouvoir aimer que moy, et puis qu’amour n’avoit destiné vos caresses à une moindre affection que la mienne. Et bien, vous me commandez que je vous laisse ? pour vous obeyr, je le feray, car je ne veux sur la fin de ma vie commencer à vous desobeir. Mais ce qui me le fait entreprendre, c’est pour sçavoir asseurément que la fin de ma vie n’esloignera guiere la fin de vostre amitié. Et quoy que je me die le plus malheureux qui vive, si cheris-je beaucoup ma fortune, en ce qu’elle m’a presenté tant d’occasion, de vous faire paroistre mon amour, que vous n’en pouvez douter, et encor ne serois-je satisfait de moy mesme, si ce dernier moment qui m’en reste, n’estoit employé à vous en asseurer. Je prie le Ciel, et voyez quelle est mon amitié, qu’en ceste nouvelle eslection, il vous comble d’autant de bonheur que vous me causez de desespoir. Vivez heureuse avec Ergaste et en recevez autant de contentement que j’avois de volonté de vous rendre du service, si mes jours me l’eussent d’avantage permis. Que ceste nouvelle affection pleine des plaisirs que vous vous promettez, vous accompagne jusques au cercueil, comme je vous asseure que ma fidelle amitié me clorra les yeux à vostre occasion, avec une extreme douleur.

Si Bellinde laissa si longuement parler Celion, ce fut de crainte que parlant, les larmes fissent l’office des paroles, et que cela rengregeast le desplaisir du berger ou qu’elle rendist preuve du peu de puissance qu’elle avoit sur elle-mesme, Orgueilleuse beauté, qui aimoit mieux estre jugée avec peu d’amour, qu’avec peu de resolution !

Mais en fin se cognoissant assez raffermie