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Le berger luy respondit avec les mesmes paroles que Philemon luy avoit dites, y adjoustant tant de plaintes et tant de desesperez regrets qu’elle eust esté un rocher si elle ne se fust pas esmeue ; toutesfois elle l’interrompit, combattant contre soy mesme avec plus de vertu qu’il n’est pas croyable, et luy remonstra que les plaintes sont propres aux esprits foibles et non pas aux personnes de courage, qu’il se faisoit beaucoup de tort et à elle aussi de tenir tel langage. Et, disoit-elle, en fin, Celion, qu’est devenue la belle resolution que vous disiez avoir contre tous accidents, sinon au changement de mon amitié ? Et pouvez-vous avoir opinion que quelque chose la puisse esbranler ? ne voyez-vous pas que ces paroles ne peuvent advancer rien d’avantage que de faire concevoir à ceux qui les oiront quelque mauvaise opinion de nous ? Pour Dieu ! ne me mettez sur le front une tache que j’ay, avec tant de peine evitée jusques icy, et puis qu’il n’y a autre remede, patientez comme je. fais, et peut-estre que le Ciel fera reussir toute chose plus à nostre contentement qu’il ne nous est permis à cet heure de le desirer. De mon costé je rompray le mal-heur tant qu’il me sera possible, mais s’il n’y a point de remede, encor ne faut-il pas estre sans resolution : plutost esloignons-nous.

Ces derniers mots cuiderent le desesperer du tout, luy semblant que ce grand courage procedoit de peu d’amitié.

S’il m’estoit aussi aisé, respondit le berger, de me resoudre à cest accident qu’à vous, je me jugerois indigne de vous aymer ny d’estre aimé de vous, car une si foible amitié ne merite tant d’heur. Et bien, pour fin, et pour loyer de mes services, vous me donnez une resolution en la perte asseurée que je vois de vous, et secrettement me dites que je ne dois me desesperer de vous voir à un autre. Ah ! Bellinde, avec quel œil verrez-vous ce nouvel