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qui rapporte plus de douleur que la mort : abregez le donc, rigoureuse bergere, s’il y a encore en vous une seule estincelle, non pas d’amitié, mais de pitié seulement.

Il fut impossible à Bellinde de ne ressentir ces paroles, qu’elle recognoissoit proceder d’une entiere affection, mais si ne fust-il pas possible à ces paroles de la divertir de son dessein. Elle advertit Amaranthe que le berger l’aimeroit et que sa santé seule luy en retardoit la cognoissance. Cest advertissement precipita sa guerison, de sorte qu’elle rendit bien preuve que pour les maladies du corps, la guerison de l’ame n’est pas inutile. Quelle fut l’extreme contrainte de Celion et quelle la peine qu’il en supportoit ! Elle estoit telle qu’il en devint maigre et tellement changé qu’il n’estoit pas recognoissable.

Mais voyez quelle estoit la severité de ceste bergere ! Il ne luy suffit pas d’avoir traitté de ceste sorte Celion, car jugeant qu’Amaranthe avoit encor quelque soupçon de leur amitié, elle resolut de pousser ces affaires si avant, que l’un ny l’autre rie s’en peust desdire. Chacun voyoit l’apparente recherche que le berger faisoit d’Amaranthe, car il s’estoit ouvertement declaré et mesme le pere du berger, qui cognoissoit les louables vertus de Leon et combien sa famille avoit tousjours esté honorable, ne desappreuvoit point ceste recherche.

Un jour Bellinde, le voulant sonder, la luy proposa comme sa compagne, et luy qui le jugea à propos y entendit fort librement et ce mariage estoit des-ja bien fort advancé sans que Celion le sceut. Mais quand il s’en apperceut, il ne peut s’empescher, trouvant le moyen de parler à Bellinde, de luy faire tant de reproches, qu’elle en eut presque honte et le berger, voyant bien qu’il y falloit remedier d’autre sorte que de parole, courut soudain au meilleur remede qui fut, à son pere, auquel il fit telle response: Je seroy tres-