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apparence qu’autre beauté que la leur en puisse faire de si grandes. Et toutesfois, comme si vous aviez dessein d’égaler vostre cruauté à vostre beauté, vous ordonnez que l’affection que vous avez faict naistre, meure cruellement en moy. Dieux ! fust-il jamais une plus impitoyable mere ? Mais moy qui ay plus cher ce qui vient de vous que ma propre vie, ne pouvant souffrir une si grande injustice, je suis resolu de porter ceste affection avec moy dans le cercueil, esperant que le Ciel, esmeu en fin par ma patience, vous obligera à m’estre quelquefois aussi pitoyable que vous m’estes chere maintenant, et cruelle.

Amaranthe releut plusieurs fois cette lettre, et sans y prendre garde, alloit beuvant la douce poison d’amour, non autrement qu’une personne lasse se laisse peu à peu emporter au sommeil. Si son penser luy remet devant les yeux le visage du berger, ô qu’elle le trouve plein de beauté ! si sa façon, qu’elle luy semble agreable ! si son esprit, qu’elle le juge admirable ! Et bref, elle le voit si parfait, qu’elle croit sa compagne trop heureuse d’estre aimée de luy. Apres, reprenant la lettre, elle la relisoit, mais non pas sans s’arrester beaucoup sur les sujets qui luy touchoient le plus au cœur ; et quand elle venoit sur la fin, et qu’elle voyoit ce reproche de cruelle, elle en flattoit ses desirs, qui naissants appelloient quelques foibles esperances comme leurs nourrives, avec opinion que Bellinde ne l’amoit pas encores, et qu’ainsi elle le pourroit plus aisément gagner. Mais la pauvrette ne prenoit pas garde que celle-cy estoit la premiere lettre qu’il luy avoit escrite et que depuis beaucoup de choses se pouvoient estre changées. L’amitié qu’elle portoit à Bellinde, quelquefois l’en retiroit, mais incontinent l’amour surmontoit l’amitié ; en fin fut qu’elle escrivit une telle lettre à Celion.

Lettre d’Amaranthe à Celion

Vos perfecions doivent excuser mon