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conduite avec tant de prudence que peu de personnes s’en apperceurent.

Amaranthe mesme, quoy qu’elle fust d’ordinaire avec eux, l’eust tousjours ignoré, n’eust esté que par hazard elle trouva une lettre que sa compagne avoit perdue. Et voyez, je vous supplie, quel fut son effect et combien c’est chose dangereuse d’approcher ces feux d’une jeune ame. Jusques à ce temps ceste bergere n’avoit jamais eu non seulement le moindre ressentiment d’amour, mais non pas mesme aucune pensée de vouloir estre aymée. Et aussi tost qu’elle vit ceste lettre, ou fust qu’elle portast quelque envie à sa compagne qu’elle n’estimoit pas plus belle, et toutesfois elle voyoit recherchée de cet honneste berger, ou bien qu’elle fust en l’aage, qui est si propre à brusler, qu’on ne sçauroit si tost en approcher le feu qu’il ne s’esprenne, ou bien que ceste lettre avoit des ardeurs si vives qu’il n’y avoit glace qui luy peust resister. Tant y a qu’elle prit un certain desir non pas d’aymer, car amour ne la vouloit peut-estre attaquer à l’abord à toute outrance, mais bien d’estre aymée et servie de quelque berger qui eust du merite. Et en ce poinct elle releut la lettre plusieurs fois qui estoit telle.

Lettre de Celion à Bellinde

Belle bergere, si vos yeux estoient aussi pleins de verité, qu’ils sont de cause d’amour, la douceur que d’abord ils pormettent, me les feroit adorer avec autant de contentemens, qu’elle a produit en moy de vaine esperance. Mais tant s’en faut qu’ils soient prests de satisfaire à leurs trompeuses promesses, que mesme ils ne les veulent advouer, et sont si eloignez de guerir ma blessure qu’ils ne s’en veulent pas seulement dire les autheurs. Si est-ce que mal-aisément la pourront-ils nier, ils considerent quelle elle est, n’y ayant pas