Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/519

Cette page n’a pas encore été corrigée

contemploit sa beauté dans l’onde. Sur quoy le berger prenant occasion, luy dit en luy mettant d’une façon toute amoureuse la main devant les yeux : Prenez garde à vous, belle bergere, retirez les yeux de ceste onde ; ne craignez-vous point le danger que d’autres ont couru en une semblable action ? – Et pourquoy me dites-vous cela ? respondit Bellinde qui ne l’entendoit point encore. – Ah ! dit alors le berger, belle et dissimulée bergere, vous representez dans ceste riviere bien-heureuse plus de beauté que Narcisse dans la fontaine.

A ces mots, Bellinde rougit, et ce ne fit qu’augmenter sa beauté d’avantage, toutesfois elle respondit : Et depuis quand, Celion, est-ce que vous m’en voulez ? Sans mentir, il est bon de vous. – Pour vous vouloir du bien, dit le berger, il y a long temps que je vous en veux et vous devez croire que ceste volonté ne sera limitée d’autre terme que celuy de ma vie.

Alors la bergere, baissant la teste de son costé, luy dit : Je ne fay point de doute de vostre amitié, la recevant de la mesme volonté que je vous offre la mienne. A quoy Celion incontinent respondit : Que je baise ceste belle main pour remerciement d’un si grand bien et pour arrhes de la fidele servitude que Celion vous veut rendre le reste de sa vie. Bellinde recogneut, tant à l’ardeur dont il proferoit ces paroles, qu’aux baisers qu’il imprimoit sur sa main, qu’il se figuroit son amité d’autre qualité qu’elle ne l’entendoit pas. Et parce qu’elle ne vouloit pas qu’il vesquist en ceste erreur : Celion, luy dit-elle, vous estes fort esloigné de ce que vous pensez ; vous ne pouvez mieux me bannir de vostre compagnie que par ce moyen. Si vous desirez que je continue l’amitié que je vous ay promise, continuez aussi la vostre avec la mesme honnesteté que vostre vertu me promet ; autrement, dés icy, je romps toute familiarité avec vous, et vous proteste de ne nous aymer jamais. Je pourrois, comme