dés le berceau nourries ensemble, et depuis, quand l’aage le leur permit, elles conduisoient de mesme leurs troupeaux, et le soir les ramenoient de compagnie en leurs loges. Mais parce que comme le corps alloit augmentant, leur beauté aussi croissoit presque à veue d’œil, il y eut plusieurs bergers qui rechercherent leur amité, dont les services et l’affection ne peurent obtenir d’elle rien de plus avantageux que d’estre receus avec courtoisie.
Il advint que Celion, jeune berger de ces quartiers, ayant esgaré une brebis, la vint retrouver dans le trouppeau de Bellinde où elle s’estoit retirée. Elle la luy rendit avec tant de courtoisie, que le recouvrement de sa brebis fut le commencement de sa propre perte, et dés lors il commença de sentir de quelle force deux beaux yeux sçavent offenser, car auparavant il en estoit si ignorant que la pensée seulement ne luy en estoit point encor entrée en l’ame. Mais quelque ignorance qui fust en luy, si se conduisit-il de sorte qu’il fit par ses recherches recognoistre quel estoit son mal au seul medecin dont il pouvoit attendre la guerison. De sorte que Bellinde par ces actions le sceut presque aussi tost que luy-mesme, car luy pour le commencement n’eust sceu dire quel estoit son dessein, mais son affection qui croissoit avec l’aage vint à une telle grandeur qu’il en ressentit l’incommodité à bon escient, et dés lors, la recognoissant, il fut contraint de changer ses passetemps d’enfance en une fort curieuse recherche.
Et Bellinde d’autre costé, encores qu’elles fust servie de plusieurs, recevoit son affection mieux que tout autre, mais toutesfois non point autrement que s’il eust esté son frere, ce qu’elle luy fit bien paroistre un jour qu’il croyoit avoir trouvé la commodité de luy declarer sa volonté. Elle gardoit son troupeau le long de la riviere de Lignon, et