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en moy, produire le vostre, que j’aye ce contentement d’ouyr une fois de vostre bouche, que l’affection d’une nymphe telle que je suis, ne vous est point desagreable.

Celadon, qui avoit desja bien recogneu ceste naissante amitié, eut desiré de la faire mourir au berceau, mais craignant que le despit qu’elle en concevroit, ne luy fist produire des effects contraires à la resolution qu’elle avoit prise avec son oncle, il fit dessein de luy donner quelques paroles pour ne pas la perdre entierement, et ainsi il luy respondit : Belle Leonide, quelle opinion auriez-vous de moy, si oubliant Astrée que j’aye si longuement servie, je commençois une nouvelle amitié ? Je vous parle librement, car je sçay autant de vos affaires, que vous-mesme. – Donc, belle nymphe, repliqua le berger, si vous le sçavez, comment voulez-vous que je puisse forcer cest amour qui a tant de force en mon ame, que ma vie et ma volonté en dépendent ? Mais puis que vous sçavez que je suis, lisez en mes actions passées et voyez que c’est qui me reste pour vous satisfaire, et dites moy ce que vous voulez que je fasse.

Leonide, à ce discours, ne peut cacher ses larmes. Toutesfois, comme sage qu’elle estoit, apres avoir consideré combien elle contrevenoit à son devoir de vivre de cette sorte, et combien elle travailloit vainement, elle resolut d’estre maistresse de ses volontez. Mais d’autant que c’estoit une œuvre si difficile qu’elle n’y pouvoit parvenir tout à coup, il falut que le temps luy servist à preparer ses humeurs, pour estre plus capables à recevoir les conseils de la prudence. Et en ceste resolution, elle luy parla de ceste sorte : Berger, je ne puis à ceste heure prendre le conseil qui m’est necessaire, il faut que pour avoir assez de force, j’aye du loisir à r’amasser les puissances de