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vérité c’est le plus grand, et faut dire que c’est bien la plus ingrate du monde, et la plus indigne d’estre aimée. Voyez, pour Dieu  ! quelle humeur est la sienne : mon frere n’a jamais eu dessein, tant s’en faut, n’a jamais eu pouvoir d’aimer qu’elle seule ; elle le sçait, la cruelle qu’elle est, car les preuves qu’il luy a rendues, ne laissent rien en doute. Le temps a esté vaincu, les difficultez, voire les impossibilitez desdaignées, les absences surmontées, les courroux paternels mesprisez, ses rigueurs, ses cruautez, ses desdains mesmes supportez, par une si grande longueur de temps, que je ne sçay autre qui l’eust peu faire, que Celadon. Et, avec tout cela, ne voilà pas ceste volage, qui comme je croy, ayant ingratement changé de volonté, s’ennuyoit de voir plus longuement vivre celuy qu’autrefois elle n’avoit peu faire mourir par ses rigueurs et qu’à ceste heure elle sçavoit avoir si indignement offencé  ? Ne voilà pas, dis-je, ceste volage qui se feint de nouveaux pretextes de haine et de jalousie, luy commande un eternel exil, et le desespere, jusques à luy faire rechercher la mort  ? – Mon Dieu, dit Phillis toute estonnée, que me dites vous, Lycidas  ? est-il possible qu’Astrée ait fait une telle faute ? – Il est vrayement tres-certain, respondit le berger, elle m’en a dit une partie, et le reste je l’ay aisement jugé par ses discours. Mais bien qu’elle triomphe de la vie de mon frere, et que sa perfidie, et ingratitude luy deguise ceste faute, comme elle aimera le mieux, si vous fay-je serment. que jamais amant n’eut tant d’affection ny de fidelite que luy. Non point que je vueille qu’elle le sçache, si ce n’est que cela luy rapporte par la cognoissance qu’il luy pourroit donner de son erreur, quelque extreme déplaisir ; car d’ores en là, je luy suis autant mortel ennemy, que mon frere luy a este fidele serviteur, et elle indigne d’en estre aimé.

Ainsi alloient discourant