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fortune, il faut donc que j’aye le goust depravé, car je ne ressentis de ma vie de plus fascheux absynthes que ceux que ceste fortune, que vous nommez bonne, m’a fait gouster depuis que je suis en l’estat où vous me voyez. – Et comment ? adjousta le druide pour mieux couvrir sa finesse, est-il possible que vous ayez si peu de cognoissance de vostre bien, que vous ne voyez à quelle grandeur ceste rencontre vous esleve ? – Helas ! respondit Celadon, c’est ce qui me menace d’une plus haute cheute. – Quoy, vous craignez, luy dit Adamas, que ce bon-heur ne vous dure pas ? – Je crains, dit le berger, qu’il dure plus que je ne le desire. Mais pourquoy est-ce que nos brebis s’estonnent et meurent quand elles sont longuement dans une grande eau, et que les poissons s’y plaisent et nourrissent ? – Parce, respondist le druide, que c’est contre leur naturel. – Et croyez vous, mon pere, luy repliqua-t’il, qu’il le soit moins contre celuy d’un berger, de vivre parmy tant de dames ? Je suis nay berger, et dans les villages, et rien qui ne soit de ma condition ne me peut plaire. – Mais est-il possible, adjousta le druide, que l’ambition qui semble estre née avec l’homme, ne vous puisse point faire sortir de vos bois, ou que la beauté dont les attraits sont si forts pour un jeune cœur, ne puisse vous divertir de vostre premier dessein ? – L’ambition que chacun doit avoir, respondit le berger, est de faire bien ce qu’il doit faire, et en cela estre le premier entre ceux de sa condition, et la beauté que nous devons regarder, et qui nous doit attirer, c’est celle-là que nous aimer, mais non pas celle que nous devons reverer, et ne voir au’avec les yeux du respect. – Pourquoy, dit le druide, vous figurez-vous qu’il y ait quelque grandeur entre les hommes, où le merite et la vertu ne puissent arriver ? – Parce, respondist-il, que je sçay