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Sois ma dame, doisois-je, et non pas ma cruelle,
Puis que tant de beauté te rend dame de tous.

Regarde ta bonté plustost que ta rigueur,
Quand tu veux chastier, disoit-elle, une offense,
Et moy je luy disois : Et toy de mesme pense,
Qu’à tes yeux tant humains doit ressembler ton cœur.

Souviens toy, disoit-elle, ô grand Dieu, que je suis
A toy ma naissance et que toy seul j’adore.
Et moy je suis à toy, disois-je, et sçache enore
Que nulle autre que toy adorer je ne puis.

Mesure, disoit-elle, à l’Amour ta pitié.
Et lors elle tranchoit pour un temps son murmure.
Et moy je luy disois : Et toy, belle mesure
Ta pitié, non à moy, mais à mon amitié.

Ses vœux furent receus, et les miens repoussez,
Et toutesfois les miens avoyent bien plus de zele,
Car de la seule foy les siens naissoyent en elle,
Moy je voyais la saincte où les miens sont dressez.

Elle obtint le pardon (mais qui peut refuser
Chose qu’elle demande ?) et j’en portay la peine,
Car depuis s’esloignant de toute chose humaine,
Elle ne me vid plus que pour me mespriser.

Est-ce ainsi, dis-je lors, que t’ayant fait mercy,
Au lieu de pardonner tu me fais un outrage ?
O grand Dieu ! puny-la d’un si mauvais courage,
Car si je faus, ses yeux me l’ordonnent ainsi.

Nous estions demeurées fort attentifves, et peut-estre j’eusse sceu quelque chose d’avantage, n’eust esté que Leonide, craignant que Polemas ne déclarast ce qu’elle me vouloit cacher, soudain qu’il eut parachevé prit la parole. Je gage, dit-elle, que je devieneray pour qui ceste chanson a esté faite. Et lors s’approchant de son oreille, fit semblant de la nommer ; mais en effect elle luy dit qu’il prist garde à ce qu’il diroit devant