Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/484

Cette page n’a pas encore été corrigée

Tant y a que chacun cognoissoit bien le peu de bonne volonté qu’ils se portoient.

Or Polemas demeuroit fort content et Lindamor ne s’en alloit pas mal volontiers, l’un pour demeurer pres de sa maistresse, et l’autre pour avoir occasion faisant service à Amasis de se l’obliger, esperant par ceste voye de se faciliter le chemin au bien auquel il aspiroit. Mais Polemas qui cognoissoit à l’œil combien il estoit defavorisé, et combien au rebours son rival recevoit de faveurs, n’ayant guiere d’esperance ny en ses services ni en ses merites, recourut aux artifices.

Et voicy comment : il apposte un homme, mais un homme le plus fin et le plus rusé qui fust jamais en son mestier, à qui sans le faire recognoistre à personne de la cour, il fit secrettement voir Amasis, Galathée, Silvie, Silere, moy, et toutes ces autres nymphes. Et non seulement luy monstra le visage, mais luy raconta tout ce qu’il sçavoit de nous toutes, voire des choses plus secrettes dont comme vieil courtisan, il estoit bien informé, et puis le pria de se feindre druide et grand devin. Il vint dans ce grand bois de Savigneu, pres de beaux jardins de Mont-brison, où sur la petite riviere qui y passe presque au travers, il fit une logette. Et demeura là quelques jours, faisant le grand devineur, si bien que le bruit en vint jusques à nous, et mesmes Galathée le sçachant, l’alla trouver pour apprendre quelle seroit sa fortune.

Ce rusé sceut si bien contrefaire son personnage, avec tant de circonstances et de ceremonies, qu’il faut qu j’advoue le vray, j’y fus deceue aussi bien que les autres. Tant y a que la conclusion de sa finesse fut de luy dire que le Ciel luy avoit donné par influence le choix d’un grand bien ou d’un grand mal, et que c‘estoit à sa prudence de les eslire. Que l’un et l’autre procedoient de ce qu’elle devoit aimer, et que si elle mesprisoit son advis, elle seroit