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homme qui n’aura point le gout perverty, comme vous le sens, ne trouvera-t-il les douceurs de ma vie plus agreables, et aymables, que les amertumes ordinaires de la vostre ?

Et se tournant vers la bergere qui s’estoit plainte de Tyrcis : Et vous insensible bergere, ne prendrez vous jamais assez de courage pour vous delivrer de la tyrannie, où ce denature berger vous fait vivre ? voulez vous par votre patience vous rendre complice de sa faute ? Ne cognoissez vous pas qu’il fait gloire de vos larmes, et que vos supplications l’eslevent à telle arrogance, qu’il luy semble que vous luy estes trop obligée, quand il les escoute avec mespris ?

La bergere avec un grand helas  ! luy respondit : Il est fort aise, Hylas, à celuy qui est sain de conseiller le malade, mais si tu estois en ma place, tu cognoistrois que c’est en vain que tu me donnes ce conseil, et que la douleur me peut bien oster l’ame du corps, mais non pas la raison chasser de mon ame ceste trop forte passion. Que si cest aimé berger use envers moy de tyrannie, il peut encores traitter avec beaucoup plus absolue puissance, quand il luy plaira, ne pouvant vouloir d’avantage sur moy, que son authorité ne s’estende beaucoup plus outre. Laissons donc là tes conseils, Hylas, et cesse tes reproches, qui ne peuvent que rengreger mon mal sans espoir d’allegeance, car je suis tellement toute à Tyrcis, que je n’ay pass mesme ma volonté. – Comment, dit le berger, vostre volonté n’est pas vostre ? et que sert-il donc de vous aymer, et servir ? – Cela mesme, respondit Laonice, que me sert l’amitié et le service que je rends à ce berger. – C’est à dire, repliqua Hylas, que, je perds mon temps et ma peine, et que vous racontant mon affection, ce n’est qu’esveiller en vous les paroles, dont apres vous vous servez en parlant à Tyrcis. – Que veux-tu, Hylas, lui dit-elle en souspirant, que je