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qui n’est pas commune. Il meurt à vostre occasion et vous demandez s’il a eu memoire de vous ! Ah ! que sa memoire et son regret n’ont esté que trop grands pour son salut ! Mais je vous supplie ne parlons plus de luy ; je m’asseure qu’il est en lieu où il reçoit le salaire de sa fidelité, et d’où peut-estre il se verra venger à vos despens. – Vous estes en colere, me dit-elle. – Vous me pardonnerez, luy dis-je, madame, mais c’est la raison qui me contraint de parler ainsi, car il n’y a personne qui puisse rendre plus de tesmoinage de son affection et de sa fidelité que moy, et du tort que vous avez de rendre une si indigne recom- pense à tant de services. – Mais, adjousta la nymphe, laissons cela à part, car je cognoy bien qu’en quelque chose vous avez raison, mais aussi n’ay-je pas tant de tort que vous me donnez. Et me dites, je vous prie, par toute l’amitié que vous me portez, si en dernieres paroles il s’est point ressouvenu de moy et quelles elles ont esté. – Faut-il encor, luy dis-je, que vous triomphiez en vostre ame de la fin de sa vie comme vous avez fait de toutes ses actions depuis qu’il a commencé de vous aimer ? S’il ne faut que cela à vostre contentement, je vous satisferay.

Aussi tost qu’il sceut que par vos paroles vous taschiez de noircir l’honneur de sa victoire, et qu’au lieu de vous plaire, il avoit par ce combat acquis vostre haine : Il ne sera pas vray, dit-il, ô injustice, qu’à mon occasion tu loges plus longuement en une si belle ame ; il faut que par ma mort je lave ton offense. Dés lors, il osta tous les appareils qu’il avoit sur ses playes, et depuis n’a voulu souffrir la main du chirugien. Ses blessures n’estoient pas mortelles, mais la pourriture l’ayant reduit à tels termes qu’il ne se sentoit plus de force pour vivre, il appella Fleurial, et se voyant seul avec luy, il dit : Fleurial, mon amy, tu perds aujourd’huy celuy qui avoit plus d’envie