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vray, respondit Tyrcis, quand on suit les regles de l’art, mais quand on fait autrement, il advient comme à ceux qui s’estant fourvoyez, plus ils marchent, et plus ils s’esloignent de leur chemin. Et c’est pourquoy, tout ainsi que la pierre qui roule con- tinuellement, ne se revestit jamais de mousse, mais plustost d’ordure et de sallete, de mesme vostre legereté se peut bien acquerir de la honte,.mais non jamais de l’amour. Il faut que vous sçachiez, Hylas, que les blessures d’Amour sont de telle qualité, que jamais elles ne guerissent. – Dieu me garde, dit Hylas, d’un tel blesseur. – Vous avez raison, repliqua Tyrcis, car si à chaque fois que vous avez este blesse d’une nouvelle beauté, vous aviez receu une playe incurable, je ne sçay si en tout vostre corps il y auroit plus une place saine, mais aussi vous estes prive de ces douceurs et de ces felicitez, qu’Amour donne aux vrais amants, et cela miraculeusement [comme toutes ses autres actions] par la mesme blessure qu’il leur a faite. Que si la langue pouvoit bien exprimer ce que le cœur ne pcut entierement gouster, et qu’il vous fust permis d’ouyr les secrets de ce dieu, je ne croy pas que vous ne voulussiez renoncer à vostre infidelité.

Hylas alors en sousriant : Sans mentir, dit-il vous avez raison, Tyrcis de vous mettre du nombre de ceux qu’Amour traite bien. Quant à moy, s’il traitte tous les autres comme vous, je vous en quitte de bon cœur ma part, et pouvez garder tout seul vos felicitez, et vos contentemens, et ne craignez que je les vous envie. Il y a plus d’un mois, que nous sommes presque d’ordinaire ensemble ; mais marquez moy le jour, l’heure, ou le moment, où j’ay peu voir vos yeux sans l’agreable compagnie de vos larmes et, au contraire, dites avec verite le jour, l’heure, et le moment où vous m’avez seulement ouy souspirer pour mes amours. Tout