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fort tout espoir de guerison. Alors elle s’adressa à Fleurial et luy dit : Va, et revien tost, mais non toutesfois qu’elle ne soit guerie, s’il est possible, car je l’aime bien fort pour la particuliere bonne volonté, qu’elle m’a tousjours portée.

A ce mot, elle continua son promenoir, et je me mis à parler à luy, et monstrois plus par mes gestes, qu’en effect, du désplaisir, et de l’admiration, afin que la nymphe y prist garde. En fin je luy dis : Vois-tu, Fleurial, sois secret et prudent ; de cecy depend tout ton bien, ou tout ton mal, et sur tout, fay tout ce que te commandera Lindamor.

Apres me l’avoir promis, il s’en alla, et moy je disposay le mieux qu’il me fut possible, mon visage à la douleur, et déplaisir. Et quelquefois, quand j’estois en lieu où la nymphe seule me pouvoit ouyr, je feignois de souspirer, levois les yeux au ciel, frappois les mains ensemble, et bref je faisois tout ce que je pouvois imaginer, qui luy donneroit quelque soupçon de ce que je voulois. Elle, comme je vous ay dit, qui attendoit tousjours que je luy parlasse de Lindamor, voyant que j’en disois rien, qu’au contraire j’en fuyois toutes les occasions, et qu’au lieu de ceste joyeuse humeur, dont j’estois estimée entre toutes mes compagnes, je n’avois plus qu’une fascheuse melancolie, conceut peu à peu l’opinion que je luy voulois donner, non toutesfois entierement. Car mon dessein estoit de luy faire croire que Lindamor au sortir du combat s’estoit trouvé tellement blessé, qu’il en estoit mort, afin que la pitié obtint sur ceste ame glorieuse, ce que ny l’affection ny les services n’avoient peu. Or comme je vous dy, mon dessein fut si bien conduit qu’il reussit presque tel que je l’avois proposé, car quoy qu’elle voulust faindre, si ne laissoit-elle d’estre aussi vivement touchée de Lindamor, qu’une autre eust peu estre. Et ainsi me voyant triste, et muette, elle se