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beaucoup de raison, luy dis-je, car je me ressouviens d’avoir ouy dire que ce qui nous touche en l’amour, est si sujet à la mesdisance, que le moins que l’on l’esclaircit est toujours le meilleur. – Voilà, me dit-elle, de bonnes excuses ; pour le moins me devroit-il demander ce que je veux qu’il en fasse, en cela il feroit ce qu’il doit, et moy je serois satisfaitte. – Avez-vous veu, luy respondis-je, la lettre qu’il vous escrit ? – Non, me dit-elle, et si vous diray de plus que je n‘en verray jamais, s’il m’est possible, et fuiray tant que je pourray de parler à luy.

Alors je pris le papier de Fleurial, et ouvrant la lettre, je leus tout haut ce que je vous ay des-ja dit, et adjoustay à la fin : Et bien, madame, ne devez-vous pas aimer une chose qui est toute à vous et ne vous offenser à l’advenir si aisément contre celuy qui n’a point offensé ? – Il est bon là, me dit-elle , il y a bien apparence qu’il soit le seul qui n’ayt ouy ces bruits ? Mais qu’il feigne tant qu’il voudra , au moins je me console, que s’il m’ayme, il payera bien l’interest du plaisir qu’il a eu à se vanter de nostre amour, et s’il ne m’ayme point, qu’il s’asseure que si je luy ay donné quelque sujet par le passé de concevoir une telle opinion, je la luy osteray bien à l’advenir, et luy donneray occasion de l’estouffer pour grande qu’elle ait esté. Et pour commencer, je vous prie, commandez à Fleurial, qu’il ne soit plus si hardy de m’apporter chose quelconque de cet outrecuidé. – Madame, luy dis-je, je feray tousjours tout ce qu’il vous plaira me commander, mais encor seroit-il necessaire de considerer meurement cet affaire, car vous pourriez vous faire beaucoup de tort en pensant offenser autruy. Vous sçavez bien quel homme est Fleurial : il n’a guiere plus d’esprit que ce qu’en peut tenir son jardin. Si vous luy faites cognoistre ce mauvais mesnage entre Lindamor et vous, j’