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volonté qu’il luy faisoit paroistre, que si elle n’avoit pas tant d’amour que luy dedans les yeux, elle en avoit bien autant pour le moins dans le cœur. Et parce qu’il est fort mal-aisé de cacher si bien un grand feu, que quelque chose ne s’en descouvre, leurs affections qui commençoient à brusler à bon escient, se pouvoient difficilement couvrir, quelque prudence qu’ils y usassent.

Cela fut cause que Galathée se resolut de parler le moins souvent qu’il luy seroit possible à Lindamor, et de trouver quelque invention pour luy envoyer de ses lettres, et en recevoir secrettement. Et pour cet effet, elle fit dessein sur Fleurial, nepveu de la nourrice d’Amasis, et frere de la sienne, duquel elle avoit souvent recogneu la bonne volonté, parce qu’estant jardinier en ses beaux jardins de Mont-brison, ainsi que son pere toute sa vie l’avoit esté, lors qu’on y menoit promener Galathée, il la prenoit bien souvent entre ses bras, et luy alloit amassant les fleurs qu’elle vouloit. Et vous sçavez que ces amitiez d’enfance, estant comme succées avec le laict, se tournent presque en nature, outre qu’elle sçavoit bien que tous vieillards estant avares, faisant du bien à cestuy-cy, elle se l’acquerroit entierement.

Et il advint comme elle l’avoit desseigné, car un jour se trouvant un peu esloignée de nous, elle l’appella faignant de luy demander le nom de quelques fleurs qu’elle tenoit en la main. Et apres les luy avoir demandées assez haut, baissant un peu la voix, elle luy dit : Vien-çà, Fleurial m’aymes-tu bien ? – Madame, luy respondit-il, je serois le plus meschant homme qui vive si je ne vous aymois plus que tout ce qui est au monde. – Me puis-je asseurer, dit la nymphe, de ce que tu dis ? – Que jamais, repliqua-t’il, ne puissé-je vivre un moment, si je n’eslisois plustost de faillir contre le