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car je recognois que tout homme qui vit sans vous aimer ne merite le nom d’homme.

Ces paroles ont esté proferées avec une certaine vehemence qui m’a bien fait cognoistre qu’il disoit veritablement ce qu’il avoit en l’ame. Et voyez, je vous supplie, la plaisante rencontre. Je n’avois jamais pris garde à ceste affection, pensant que tout ce qu’il faisoit fust par jeu, et ne m’en fusse jamais apperceue, sans la jalousie de Polemas. Mais depuis j’ay eu tousjours l’œil sur Lindamor et ne faut point que j’en mente, je l’ay trouvé capable de donner aussi bien de l’amour, que de la jalousie, de sorte qu’il semble que l’autre ait esguisé le fer, dont il a voulu trancher le filet du peu d’amitié que je luy portois ; car je ne sçay comment Polemas, depuis ce temps-là, me desplaist si fort en toutes ses actions, qu’à peine l’ay-je peu souffrir pres de moy le reste du soir. Au contraire tout ce que Lindamor fait, me revient de sorte, que je m’estonne de ne l’avoir plustost remarqué. Je ne sçay si Polemas, pour estre interdit, a changé de façon, ou si la mauvaise opinion que j’ay conceue de luy, m’a changé les yeux pour son regard, tant y a que, ou mes yeux ne voyent plus comme ils souloient, ou Polemas n’est plus celuy qu’il souloit estre.

Il ne faut point que j’en mente, quand Galathée me parla de ceste sorte contre luy, je n‘en fus pas marrie, à cause de son ingratitude ; au contraire , pour luy nuire encor d’avantage, je luy dis : Je ne m’estonne pas, madame, que Lindamor vous revienne plus que Polemas, car les qualitez et les perfections de l’un et de l’autre ne sont pas esgales. Chacun qui les verra fera bien le mesme jugement que vous. Il est vray qu‘en cecy je prevoy une grande brouillerie, premierement entr’eux, et puis entre vous et Polemas. – Et pourquoy ? me dit Galathée. Avez-