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il m’a parlé de sorte que cela suffisoit bien à faire devenir entierement fol le pauvre Polemas, s‘ il l’eust ouy. Madame, m’a-t’il dit, est-il possible que toutes choses aillent tant au rebours, et que la fainte reussisse si vraye, et les presages aussi, que vos yeux me dirent à l’abord que je les veis ? – Lindamor, luy ay-je dit, ce seroit estre puny comme vous meritez, si feignant vous rencontriez la verité. – Ceste punition, m’a-t’il respondu, m’est si agreable, que je me voudrois mal, si je ne l’aimois et cherissois, comme le plus grand heur qui me puisse arriver. – Qu’entendez vous par là ? luy ai-je dit, car peut-estre parlons-nous de chose bien differente. – J’entends, dit-il, qu’en ce jeu du bal, je vous ay desrobée, et qu’en la verité de l’amour, vous m’avez desrobé et l’ame et le cœur.

Alors rougissant un peu, je luy ay respondu comme en colere : Et quoy, Lindamor, quels discours sont les vostres ? vous ressouvenez-vous pas qui je suis, et qui vous estes ? – Si fay, dit-il, madame, et c’est ce qui me convie à vous parler de ceste sorte, car n’estes-vous pas madame, et ne suis-je pas vostre serviteur ? – Ouy, luy ay-je respondu, mais ce n’est pas en la sorte que vous l’entendez ; car vous me devez servir avec respect et non point avec amour, ou s’il y a de l’affection il faut qu’elle naisse de vostre devoir. Il a incontinent repliqué : Madame, si je ne vous sers avec respect, jamais divinité n’a esté honorée d’un mortel ; mais que ce respect soit le pere ou l’enfant de mon affection, cela vous importe peu, car je suis resolu, quelle que vous me puissiez estre, de vous servir, de vous aimer, et de vous adorer. Et en cela ne croyez point que le devoir, à quoy Clidaman par son jeu nous a soumis, en soit la cause : il en peut bien estre la couverture, mais en fin vos merites, vos perfections, ou pour mieux dire mon destin me donne à vous, et j’y consens ;