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Le berger alors, sans tourner les yeux vers elle, luy respondit froidement: Pleust à Dieu, belle bergere, qu’il me fust permis de vous pouvoir satisfaire par ma mort, car pour vous oster, et moy aussi de la peine où nous sommes, je la cherirois plus que ma vie ! Mais puisque, comme si souvent vous m’avez dit, ce ne seroit que rengreger vostre mal, je vous supplie, Laonice, rentrez en vous mesme, et considerez combien vous avez peu de raison, de vouloir deux fois faire mourir ma chere Cleon. Il suffit bien [puisque mon malheur l’a ainsi voulu] qu’elle ait une fois paye le tribut de son humanité; que si apres sa mort elle est venue revivre en moy par la force de mon amitié, pourquoy, cruelle, la voulez vous faire remourir par l’oubly qu’une nouvelle amour causeroit en mon ame ? Non, non, bergere, vos reproches n’auront jamais tant de force en moy, que de me faire consentir à un si mauvais conseil, d’autant que ce que vous nommez cruauté, je l’appelle fidelité, et ce que vous croyez digne de punition, je l’estime meriter une extreme louange. Je vous ay dit qu’en mon cercueil la memoire de ma Cleon vivra parmy mes os. Ce que je vous ay dit, je l’ay mille fois juré aux dieux immortels, et à ceste belle ame qui est avecques eux ; et croiriez-vous qu’ils laissassent impuny Tyrcis, si oublieux de ses serments il devenoit infidele ? Ah  ! que je voye plustost le ciel pleuvoir des foudres sur mon chef, que jamais j’offense ny mon serment ny ma chere Cleon. Elle vouloit repliquer, lorsque je berger qui alloit chantant, les interrompit, pour estre desja trop pres d’eux, avec’ tels vers :


Chanson de l’inconstant Hylas


Si l’on me dedaigne, je laisse
La, cruelle avec son dedain.