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mais si ne peut-on nier que ceste outrecuidance ne soit née en luy avec quelque apparence de raison. – De raison ? me respondit incotinent la nymphe, et quelle raison en cela pourroit-il alleguer ? – Plusieurs, Madame, luy repliquay-je, mais pour les taire toutes, sinon une, je vous diray, que veritablement vous avez permis qu’il vous ait servie avec plus de particularité que tout autre. –C’est parce, dit Galathée, qu’il me plaisoit d’avantage, que le reste des serviteurs de mon frere. – Je le vous advoue, respondis-je, et se voyant plus avant en vos bonnes graces, que pouvoit-il moins esperer que d’estre aymé de vous ? Il a tant ouy raconter des exemples d’amour entre des personnes inesgales, qu’il ne pouvoit se flatter moins, que d’esperer cela mesme pour lay, qu’il oyoit raconter des autres. Et me souvient que sur ce mesme sujet il fit des vers qu’il chanta devant vous, il y a quelque temps, lors que vous luy commandiez de celer son affection. Ils estoient tels :

Sonnet


Pourquoy si vous m’aimez, craignez-vous qu’on le sçache ?
Est-il rien de plus beau qu’une honneste amitié ?
Les esprits vertueux l’un à l’autre elle attache,
Et loing des cœurs humains bannit l’inimitié.

Si vostre eslection est celle qui vous fasche,
Et que vous me jugiez trop indigne moitié,
Orgueilleuse beauté, qu’ à chacun on le cache,
Sans que jamais en vous se monstre la pitié.

Mais toutesfois Didon d’un corsaire n’a honte,
Paris jeune berger, son Oenone surmonte,
Et Diana s’ esmeut pour son Endymion.

Amour n’a point d’egard à la grandeurt royale,
Au sceptre le plus grand la houlette il esgale,
Et sans plus suffit la pure affection.