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point que je vesquisse avec aucun autre de ceste sorte, a passé si outre, qu’il ne sçait plus ce qu’il fait, tant il est hors de soy. Et de faict, ce soir, il a dansé avec moy quelque temps, au commencement si resyeur, que j’ai esté contrainte, sans y penser, de luy demander ce qu’il avoit : Ne vous déplaira-t-il point, m’a-t’il dit, si je le vous decouvre ? – Nullement, luy ay-je respondu, car je ne demande jamais chose que je ne veuille sçavoir. Sur ceste asseurance il a poursuivy : Je vous diray, madame, qu’il n’est pasen ma puissance de ne resver à des actions que je voy d’ordinaire devant mes yeux, et qui me touchent si vivement, que si j’en avois aussi bien l’asseurance, que je n’en ay que le soupçon, je ne sçay s’il y auroit quelque chose assez forte, pour me retenir en vie.

Sans mentir, j’estois encor si peu advisée, que je ne sçavois ce qu’il vouloit dire ; toutesfois, me semblant que son amitié m’obligeoit à quelque sorte de curiosité, je luy ay demandé quelles actions c’estoient qui le touchoient si vivement. Alors s’arrestant un peu, et m’ayant regardée ferme quelque temps, il m’a dit : Est-il possible, madame, que sans fiction vous me demandiez que c’est ? –Et pourquoy, lui ay-je respondu, ne voulez-vous pas que je le puisse faire ? –Parce, a-t-il adjousté, que c’est à vous à qui toutes ces choses s’adressent, et que c’est de vous aussi d’où elles procedent.

Et lors, voyant que je ne disois mot, car je ne sçavois ce qu’il vouloit dire, il a recommencé à marcher, et m’a dit : Je ne veux plus que vous puissiez faindre en cest affaire sans rougir, car resolument je me veux forcer de la vous dire, quoy que le discours m’en deust couster la vie. Vous sçavez, madame, avec quelle affection, depuis que le Ciel me rendit vostre, j’ay tasché de vous rendre preuve que j’estois veritablement serviteur de la belle Galathée. Vous pouvez dire, si jusques