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Vous mourrez par mon deuil, et moy par vostre mort.

Je regrettois ainsi mes douleurs immortelles,
Sans que par mes regrets la mort puist s’attendrir :
Et mes deux yeux echangez en sources eternelles,
Qui pleurerent mon mal, ne sceurent l’amoindrir.

Quand Amour avec moy d’une si belle morte
Ayant plaint la mal-heur qui cause mes travaux,
Sechons, dit-il, nos yeux, pleignons d’une autre sorte,
Aussi bien tous les pleurs sont moindres que nos maux.

Lycidas et Phillis eussent bien eu assez de curiosité pour s’enquerir de l’ennuy de ce berger,’si le leur propre le leur eust permis ; mais voyant qu’il avoit autant de besoin de consolation qu’eux, ils ne voulurent adjouster le mal d’autruy au leur, et ainsi laissant les autres bergers attentifs à l’escouter, ils continuerent leur chemin sans estre suivis de personne, pour le desir que chacun avoit de sçavoir qui estoit ceste trouppe incogneue. A peine estoit party Lycidas, qu’ils ouyrent d’assez . loing une autre voix qui sembloit de s’approcher d’eux, et la voulant escouter, ils furent empeschez par la bergere qui tenoit la teste du berger dans son giron, avec telles plaintes : Et bien  ! cruel, et bien, berger sans pitie  ! jusques à quand ce courage obstine s’endurcira-t’il à mes prieres ? jusqu’à quand as-tu ordonne que je sois dedaignée pour une chose qui n’est plus? et que pour une morte je sois privée de ce qui luy est inutile ? Regarde, Tyrcis, regarde, idolatre des morts, et ennemy des vivants, quelle est la perfection de mon amitié, et apprens quelquefois, apprens à aimer les personnes qui vivent, et non pas celles qui sont mortes, qu’il faut laisser en repos apres je dernier adieu, et non pas en troubler les cendres bien-heureuses par des larmes inutiles, et prens gardes, si tu continues, de n’attirer sur toy la vengeance de ta cruauté, et de ton injustice.