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a si vivement ressenty ceux de vos yeux. Combien y a t’il que vous vous estes retirée de moy ? que vous ne vous plaisez plus à parler à moy, et qu’il semble que vous allez mendiant toutes les autres compagnies pour fuir la mienne ? Où est le soin que vous aviez autrefois de vous enquerir de mes nouvelles, et l’ennuy que vous rapportoit mon retardement hors de vostre presençe ? Vous pouvez vous ressouvenir combien le nom de Lycidas vous estoit doux, et combien de fois il vous eschappoit de la bouche, pour l’abondance du cœur, en pensant nommer quelqu’autre ? Vous en pouvez-vous ressouvenir, dy-je, et n’avoir à ceste heure dans ce mesme cœur, et dans ceste mesme bouche que le nom et l’affection de Silvandre, avec lequel vous vivez de sorte, qu’il n’est pas jusques aux plus estrangers qui sont en ceste contrée, qui ne recognoissent que vous l’aymez ? Et vous trouvez estrange que moy qui suis ce mesme Lycidas, que j’ay tousjours esté, et qui ne suis né que pour une seule Phillis, sois entré en doute de vous ?

L’extreme desplaisir de Lycida luy faisoit naistre une si grande abondance de paroles en la bouche, que Phillis pour l’interrompre ne pouvoit trouver le temps de luy respondre ; car si elle ouvroit la bouche pour commencer, il continoit encore avec plus de vehemence, sans considerer que sa plainte estoit celle qui rentregeoit son mal et que s’il y avoit quelque chose qui le peust alleger c’estoit la seule response qu’il ne vouloit escouter. Et au contraire, ne cognoissant pas que ce torrent de paroles ostoit le loisir à la bergere de luy respondre, il jugeoit que son silence procedoit de se sentir coulpable, si bien qu’il alloit augmentant sa jalousie à tous mouvemens et à toutes les actions qu’il luy voyoit faire ; dequoy elle se sentit si surprise et offensée, que toute interditte elle ne sçavoit