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de m’aimer en ne m’aimant pas. -Bergere, respondit Lycidas, si mon affection estoit de ces communes, qui ont plus d’apparence que d’effet, je me condamnerois moy-mesme, lors que sa violence me transporte hors de la raison, ou bien quand je vous demande de grandes preuves d’une grande amitié. Mais puis qu’elle n’est pas telle, et que vous sçavez bien qu’elle embrasse tout ce qui est de plus grand, ne sçavez-vous pas que l’extreme amour ne marche jamais sans la crainte, encores qu’elle n’en ait point de sujet, et que pour peu qu’elle en ait, ceste crainte se change en jalousie, et la jalousie en la peine, ou plustost en la forcenerie où je me trouve ?

Cependant que Lycidas, et Phillis parloient ainsi, pensant que ces paroles ne fussent ouyes que d’eux-mesmes, et qu’ils n’eussent autres tesmoins que ces arbres, Silvandre, comme je vous ay dit, estoit aux escoutes, et n’en perdoit une seule parole. Laonice, d’autre costé, qui s’estoit endormie en ce lieu, s’esveilla au commencement de leur discours, et les recognoissant tous deux, fut infiniment aise de s’y estre trouvée si à propos, s’asseurant bien qu’ils ne se separeroient point, qu’ils ne luy apprinssent beaucoup de secrets, dont elle esperoit se servir à leur ruine. Et il advint ainsi qu’elle l’avoit esperé, car Phillis oyant dire à Lycidas qu’il estoit jaloux, luy repliqua fort haut : Et de qui ? et pourquoy ? -Ah ! Bergere, respondit l’affolé Lycidas, me faites-vous ceste demande ? Dites moy, je vous supplie, d’où procederoit ceste grande froideur envers moy depuis quelque temps, et d’où ceste familiarité que vous avez si estroitte avec Silvandre, si l’amitié que vous me souliez porter n’estoit point changée à son avantage ? Ah ! bergere, vous deviez bien croire que mon cœur n’est pas insensible à vos coups, puis qu’il