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m’avez aimé, et si j’en eusse esté en doute, ma peine ne seroit pas telle que je la ressens ; mais je crains que comme une blessure, pour grande qu’elle soit, si elle ne fait mourir, se peut guerir avec le temps, de mesme celle qu’amour vous avoit faite alors pour moy, ne soit à cette heure de sorte guerie, qu’à peine la cicatrice en apparoisse seulement.

Phillis, à ces paroles, tournant la teste à costé, et les yeux avec un certain geste de mescontentement. Puis, berger, lui dit-elle, que jusques icy par les bons offices et par tant de tesmoignages d’affection, que je vous ay rendus, je cognoy de n’avoir rien avancé, asseurez-vous que ce que j’en plains le plus, c’est la peine et le temps que j’y ay employez.

Lycidas cogneut bien d’avoir fort offensé sa bergere. Toutesfois il estoit luy respondre : Ces courroux, bergere, ne me donnent-ils pas de nouvelles cognoissances de ce que je crains ? car se fascher des propos qu’une trop grande affection fait quelquefois proferer, n’est-ce pas signe de n’en estre quelquefois attaint ? Phillis oyant ce reproche, revint un peu à soy, et tournant le visage à luy, respondit : Voyez-vous, Lycidas, toutes faintes en toutes personnes me desplaisent, mais je n’en puis supporter en celles avec qui je veux vivre. Comment ? Lycidas a la hardiesse de me dire qu’il doute de l’amitié de sa Phillis, et je ne croiray pas qu’il dissimule : et quel tesmoignage s’en peut-il rendre que je ne vous aye rendu ? Berger, berger, croyez-moy, ces paroles me font mal penser des asseurances qu’autresfois vous m’avez données de vostre affection ; car il peut bien estre que vous me trompiez en ce qui est de vous comme il semble que vous deceviez en ce qui est de moy. Ou que comme vous pensez n’estre point aimé, l’estant plus que tout le monde, de mesme vous pensiez