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langage. – Quand cela seroit, dit Paris, vous ne lui en auriez que tant plus d’obligation. – Il est vray, dit Hylas, mais je ne craindray jamais de m’obliger en partie à celle à qui je suis desja entierement. – Vos obligations, dit Diane, ne sont pas de celles qui sont pour tousjours, vous les revoquez quand il vous plaist. – Si les unes, respondit-il, y perdent, les autres y ont de l’avantage. Et demandez à Phillis, si elle n’est pas bien aise que je sois de ceste humeur, car si j’estois autrement, elle pourroit bien se passer de mon service.

Avec semblables discours, Diana, Paris et plusieurs autres bergeres parvindrent jusques au grand pré, où ils avoyent accoustumé de s’assembler, avant que de se retirer, et Paris donnant le bon-soir à Diana, et au reste de la trouppe, print son chemin du costé de Laigneu.

Mais cependant Lycidas parloit avec Phillis, car la jalousie de Silvandre le tourmentoit de sorte qu’il n’avoit peu attendre au lendemain à luy en dire ce qu’il en avoit sur le cœur. Il estoit tellement hors de luy-mesme, qu’il ne prit pas garde que l’on l’escoutoit : mais, pensant estre seul avec elle, apres deux ou trois grands souspirs, il luy dit : Est-il possible, Phillis, que le Ciel m’ait conservé la vie si longuement pour me faire ressentir vostre infidélité ? La bergere qui attendoit toute autre sorte de discours, fut si surprise, qu’elle ne luy peut respondre. Et le berger voyant qu’elle demeuroit muette, et croyant que ce fust pour ne sçavoir quelle excuse prendre, continua : Vous avez raison, belle bergere, de ne point respondre, car vos yeux parlent assez, voire trop clairement pour mon repos. Et ce silence ne me dit et ausseure que trop ce que je vous demande, et que je ne voudrois pas sçavoir.

La bergere, qui se sentit offensée de ses paroles, luy respondit toute despite : Puis que mes yeux parlent assez