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des plus belles filles qui demeure le long des rives de l’Arar, et tellement cogneue en toute cette contrée, qu’il faut, si vous ne la cognoissez, que vous soyez d’un autre monde. Jusques là j’avois si bien contrefait ma voix, que comme la nuict luy trompoit les yeux, aussi decevois-je son oreille par mes paroles. Mais à ce coup, ne m’en ressouvenant plus, apres plusieurs autres remerciements, je luy dis, que si en eschange de la peine qu’elle avoit prise, je luy pouvois rendre quelque service, je ne croirois point qu’il y eust homme plus heureux que moy. Comment ? me dit-elle alors et qui estes-vous qui me parlez de ceste sorte ? Et me touchant soudain, et regardant de plus pres, elle recogneut à mon habit, ce que j’estois, dont toute estonnée : Avez-vous bien eu la hardiesse, me dit-elle, d’enfraindre nos loix de ceste sorte ? Sçavez-vous bien que vous ne pouvez payer ceste faute, qu’avec la perte de vostre vie ? Il faut dire la verité : quoy que je sceusse qu’il y avoit quelque chastiment ordonné, si ne pensois-je pas qu’il fust tel, dont je ne fus peu estonné. Toutesfois, luy representant que j’estois estranger, et que je ne sçavois point leurs statues, elle prit pitié de moy, et me dit que dés le commencement elle l’avoit bien recogneu, et qu’il falloit que je sceusse qu’il estoit impossible d’obtenir pardon de cette faute, parce que la loy y estoit ainsi rigoureuse pour oster de ces veilles tous les abus qui s’y souloient commettre. Toutesfois, que voyant que je n’y estois point allé de mauvaise intention, elle feroit tout ce qui lui seroit possible pour me sauver. Et que pour cest effect il ne falloit pas attendre que la minuict sonnast, car alors les druides venoient à la porte avec des flambeaux, et les regardoient toutes au visage. Qu’à ceste heure la porte du temple estoit bien fermée, mais qu’elle essayeroit de la faire ouvrir.