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Stances sur la mort de Cleon


La beauté que la mort en cendre a fait resoudre,
La des pouillant si tost de son humanité,
Passa comme un esclair, et brusla comme un foudre,
Tant elle eut peu de vie, et beaucoup de beauté.

Ces yeux jadis autheurs des douces entreprises
Des plus cheres amours sont à jamais fermez.
Beaux yeux qui furent pleins de tant de mignardises,
Qu ’on ne les veit jamais sans qu’ils f ussent aimez.

S’il est vray, la beaute d’entre nous est ravie,
Amour pleure vaincu qui fut toujours vainqueur,
Et celle qui donnoit à mille cœurs la vie,
Est morte, si ce n’est qu’elle vive en mon cœur.

Et quel bien desormais peut estre desirable,
Puis que le plus parfait est le plustost ravy ?
Et qu’ainsi que du corps l’ombre est inseparable,
Il faut qu’un bien tousjours soit d’un mal-heur suivy ?

Il semble, ma Cleon, que votre destinée
Ait des son Orient vostre jour achevé,
Et que vostre beauté morte aussi tost que née,
Au lieu de son berceau son cercueil ait trouvé.

Non, vous ne mourez pas, mais c’est plustost moy-mesme,
Puisque vivant je fus de vous seacle animé,
Et si l’amant a vie en la chose qu’il aime,
Vous revivez en moy m’ayant tousjours aimé.

Que si je vis, amour veut donner cognoissance,
Que mesme sur la mort il a commandement,
Ou comme estant un dieu pour monstrer sa puissance
Et sans ame et sans cœur faire vivre un amant.

Mais, Cleon, si du Ciel l’ordonnance fatale
D’un trespas inhumain vous fait sentir l’effort,
Amour à vos destins rend ma fortune égale,