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aide fort à couvrir l’imperfection du tout] ou bien si veritablement elle estoit belle, tant y a qu’aussi tost que je la veis, je l’aimay.

Or qu’à ceste heure ceux-là me viennent parler, qui dient que l’amour vient des yeux de la personne aimée ! Cela ne pouvoit estre, car elle ne m’eust sceu voir, outre qu’elle ne tourna pas mesme les yeux sur moy, et qu’à peine l’avois-je assez bien veue, pour la pouvoir recognoistre une autre fois et cela fut cause, que poussé de la curiosité, je me coulay doucement entre les bergeres qui luy estoient plus pres. Mais par malheur, estant avec beaucoup de danger parvenu jusqu’aupres d’elle, elle finit son hymne. Et renvoya la bougie au mesme lieu où elle souloit estre, si bien que le lieu demeura si obscur, qu’à peine en la touchant l’eussé-je peu voir. Toutesfois l’esperance qu’elle, ou quelqu’autre pres d’elle recommenceroit bien tost à chanter, m’arresta là quelque temps. Mais je veis qu’au contraire la clarté fut portée à l’autre choeur, et incontinent apres une de celles qui estoient y commença de chanter comme avoit fait ma nouvelle maistresse.

La difference que je remarquay, fust de la voix, fust du visage, estoit grande : car elle n’avoit rien qui approchast de celle que je commençois d’aimer, qui fut cause que ne pouvant plus long temps commander à ma curiosité, je m’adressay à une dame qui estoit la plus escartée, et me contrefaisaient le mieux qu’il m’estoit possible, je lui demanday qui estoit celle qui avoit chanté avant la derniere. Il faut bien, me dit elle, que vous soyez estrangere, puisque vous ne la cognoissez pas. -Peut-estre, luy respondis-je, la recognoistrois-je si j’oyois son nom. -Qui ne la recognoistra, dit-elle, à son visage, demandera son nom en vain. Toutesfois pour ne vous laisser en peine, sçachez qu’elle s’appelle Cyrcene, l’une